Dans ce premier roman puissant en forme d’enquête, le jeune écrivain Anthony Passeron se déporte dans les années 1980 et raconte la mort de son oncle tué par le sida et l’impact sur sa famille. Il était le préféré de ses parents. Le premier à avoir le bac, le fils qui avait trouvé un emploi dans l’office notarial, honneur inespéré pour des petites commerçantes de l’arrière-pays niçois. Dans cette famille taiseuse, personne n’imaginait que Désiré allait se droguer à l’héroïne et contracter le sida par injection. Jusqu’au bout, sa mère a refusé d’y croire et puis, devant le corps mourant de son garçon, elle a dû se rendre à l’évidence. Cela se passait au début des années 1980 et Désiré était l’oncle paternel d’Anthony Passeron. Dans cette très belle enquête autobiographique, l’auteur s’efforce de mettre des mots sur un drame recouvert de silence. À partir d’un matériau épars, photos de famille, éclats de souvenirs d’enfance, témoignages, il fait surgir de l’anonymat Désiré et ses proches, seules et démunies dans une époque où le sida était une maladie largement méconnue, et honteuse. Passeron décrypte les réactions de chacune. Le cadet père de l’auteur, boucher-charcutier comme ses parents, travailleur obstiné, se montre loyal jusqu’au bout malgré les déflagrations du drame dans sa propre vie. La mère de Désiré grand-mère de l’auteur, au passé pétri de pauvreté, s’emmure entièrement dans le déni ; le primo-romancier l’observe avec empathie. C’est aussi l’évocation d’un bourg en déclin, petite sous-préfecture pimpante devenue arrière-pays déserté Travail en historien Ce récit intime, qui dit avec pudeur le malheur insondable, Passeron parvient à le dépasser pour reconstituer l’enchaînement des faits et étudier les circonstances qui ont entouré le drame. Il dresse en arrière-plan le portrait d’un milieu social, ces commerçantes presque notables dans les années 1960, transformées en perdantes dans les années 1980 après l’ouverture des supermarchés. C’est aussi l’évocation d’un bourg en déclin, petite sous-préfecture pimpante devenue arrière-pays déserté où les jeunes s’ennuient à mourir. Passeron ausculte, sans jugement, ce qu’on a appelé plus tard la France périphérique, le territoire des oubliées. Il reconstitue les différentes étapes de la lutte, les hésitations, les fausses pistes, les découragements, les avancées Parallèlement à cette enquête intime et sociologique d’une maîtrise absolue, l’auteur retrace le parcours des chercheureuses qui, aux États-Unis et en France, découvrent le virus, tentent de l’identifier et de le combattre. À l’impuissance des familles répond ici celle des soignantes, et le drame privé devient alors la minuscule pièce d’un puzzle international. L’auteur travaille en historien. Il reconstitue les différentes étapes de la lutte contre le sida, les hésitations, les fausses pistes, les découragements, les avancées, l’incompréhension des autorités politiques. Il montre les moments de solidarité entre des scientifiques qui partagent leur savoir, mais aussi la concurrence d’un pays à l’autre pour publier dans les revues. Il rappelle les noms de ceux et celles qui se sont consacrées à la lutte. Passeron juxtapose les faits sur un rythme soutenu et, passant de l’Institut Pasteur à un centre de recherches d’Atlanta ou à la Pitié-Salpêtrière, il nous restitue comme une épopée cette longue histoire qui se poursuit encore aujourd’hui. Les Enfants endormis d’Anthony Passeron Globe, 288 p., 20 €. En librairie le 25 août. cafeyn

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